Base de connaissances et Publications

Baladodiffusion : Les voix du terrain 16 - Soutenir le chagrin, le deuil et la santé mentale pendant la pandémie de COVID-19

juin 2020

Un séries baladodiffusion : Les voix du terrain
Un séries baladodiffusion :
Les voix du terrain

Les voix du terrain

Bienvenue aux Les voix du terrain, un balado produit par le Centre de la collaboration nationale de la santé autochtone (CCNSA) qui met l’accent sur la recherche innovante et les initiatives communautaires promouvant la santé et le bien-être des peuples des Premières Nations, des Inuits et des Métis au Canada.

Épisode 16 : Soutenir le chagrin, le deuil et la santé mentale pendant la pandémie de COVID-19

Dans cet épisode, Jeffrey Ansloos, titulaire d’un PhD., discute des fondements quotidiens de la santé mentale, du bien-être et de la guérison des peuples autochtones, tant de manière générale que spécifique à la pandémie actuelle. 
À la suite de l’imposition de restrictions de santé publique en vigueur concernant les voyages et les grands rassemblements sociaux, les traditions relatives au deuil collectif visant à célébrer la vie des proches ont été fortement limitées. 
M. Ansloos discute ici de ses effets à long terme et de la nécessité de trouver des mesures d’adaptation proactives pouvant répondre aux besoins de santé émotionnelle et mentale des familles et des communautés. Il termine en abordant le renforcement des communautés et la manière dont elles favorisent une meilleure santé mentale et le bien-être.  

 

Écoutez sur SoundCloud (en anglais)

 


Biographies

 

 

Jeffrey Ansloos, PhD, CPsych, est membre de la Nation crie de Fisher River (Ochekwi-Sipi; Traité 5). Il est psychologue clinicien et professeur adjoint en santé mentale des Autochtones et en politique sociale de la Chaire du réseau d’éducation autochtone de l’université de Toronto. Il est également le titulaire de la chaire de recherche du Canada en études critiques de la santé des Autochtones et de l’action sociale en matière de suicide de l’Institut d’études pédagogiques de l’Ontario. Son travail porte sur les dimensions psychologique, sociopolitique, économique, culturelle, environnementale et technologique du suicide, en particulier dans les communautés autochtones du Canada, ainsi que sur l’identification des pratiques quotidiennes et cliniques qui améliorent le bien-être et préviennent le suicide, notamment par des approches culturelles, terrestres et communautaires. Suivez-le sur Twitter @JeffreyAnsloos.

 

Transcription

Rick Harp : Monsieur Ansloos, étant donné les restrictions persistantes concernant les rassemblements et les voyages, quelles sont selon vous les meilleures façons de soutenir le chagrin et le deuil des familles et des communautés autochtones?

Jeffrey Ansloos : Il y a beaucoup de choses que l’on pourrait dire à ce sujet, mais chaque communauté est différente et les besoins de chacune sont uniques. Mais, le plus important selon moi est de s’assurer que les besoins de bases des gens sont comblés, c’est-à-dire qu’ils ont accès à de l’eau, de la nourriture, un toit pour dormir et qu’ils puissent faire de l’exercice.   Ce sont des éléments de base, les fondements d’une bonne santé, mais il est aussi important de s’assurer que la communauté puisse compter sur des professionnels qui peuvent les soutenir. C’est l’une des choses que les jeunes ne cessent de demander. Ils ont besoin d’avoir accès à quelqu’un qui puisse les soutenir; un travailleur auprès des jeunes, un travailleur de la santé, quelqu’un sur qui ils peuvent compter pour obtenir du soutien émotionnel et social dans un contexte où il n’y a peut-être pas beaucoup de soutien à leur disposition.   Le véritable défi est sans aucun doute la distanciation sociale qui empêche les gens d’avoir de véritables relations, ce qui est extrêmement difficile pour eux. Il est donc très important de veiller à ce qu’ils aient accès à ces types de soutien par des moyens numériques ou téléphoniques.

Rick Harp : Monsieur Ansloos, pouvez-vous nous parler de certains des impacts à long terme que les peuples autochtones peuvent subir du fait d’être privés des modes de deuil culturels en raison de la COVID-19?

Jeffrey Ansloos : Il faut s’attendre à observer des répercussions chaque fois que nous examinons un contexte où l’accès au soutien social et aux liens culturels est entravé. Elles se feront sentir tant sur la santé mentale que sur le bien-être de la communauté.   Lorsque nous examinons les impacts à long terme de la COVID-19, les domaines les plus importants qui toucheront les communautés sont liés à la capacité de se réunir pour célébrer et pleurer la perte d’êtres chers. Ce phénomène s’ajoute aux nombreuses mesures de distanciation sociale.   Nos cérémonies ne doivent pas nécessairement se dérouler en présence de toute la communauté ou de quelques individus, mais elles constituent une partie importante des traditions funèbres. Il y a donc des moments importants faisant partie du deuil collectif qui sont influencés par cette perturbation.   Ce qui signifie qu’à long terme, il nous faut réfléchir de manière proactive aux moyens de soutenir à l’avenir les personnes qui traversent un processus de deuil. Nous devons nous assurer que les communautés où des mesures de distanciation sociale sont en place puissent faire leur deuil ou pleurer la perte d’un être cher en respectant un horaire préétabli.   Ainsi, des périodes de deuil ou des moments précis où prendraient place des cérémonies pourraient être autorisés. Nous devrions peut-être penser à revisiter nos protocoles afin de tenir compte de l’éloignement social et de l’impossibilité de se réunir et de faire des cérémonies.   Ces processus doivent être contextualisés pour s’harmoniser à la situation actuelle. 

Rick Harp : Y a-t-il d’autres domaines sur lesquels nous devrions nous concentrer en ce qui concerne toutes ces questions – peut-être la situation dans son ensemble?

Jeffrey Ansloos : Ce que cette période de distanciation sociale résultant de la COVID-19 a permis de mettre en lumière, c’est que les problèmes structurels qui nuisent aux communautés autochtones rendent la situation encore plus difficile.   Les inégalités, en matière de services et d’infrastructures qui ont un réel impact direct sur la santé, et en particulier sur la santé mentale, se font davantage ressentir lors de la pratique de la distanciation.   Nous parlons beaucoup de l’importance pour les gens d’accéder à la télésanté ou aux services en ligne, mais bon nombre de ces interventions supposent un accès adéquat à l’Internet ou à la technologie, chose qui n’est pas possible dans toutes les communautés autochtones au Canada. En matière de signaux, elle indique que nous devons réfléchir à des engagements à plus long terme pour faire en sorte que les communautés autochtones du Canada aient un accès plus équitable aux services et aux possibilités de mener une vie saine. L’autre chose qui est très claire, c’est que nous avons besoin d’un engagement canadien beaucoup plus complet envers la promotion de la santé mentale des peuples autochtones et qu’il nous faut réfléchir aux moyens de garantir un accès à des services de santé mentale culturellement pertinents et adaptés au contexte.

Lorsque nous parlons de soutien au bien-être et à la santé mentale dans les communautés autochtones, nous ne parlons pas seulement d’un seul type de service.   Il ne s’agit pas seulement d’avoir accès à un psychologue, à un travailleur en santé mentale ou une infirmière psychiatrique. Il s’agit de réfléchir de manière plus globale, afin de s’assurer que les pratiques quotidiennes qui favorisent la santé mentale, depuis les expériences des jeunes à l’école jusqu’aux aînés de la communauté et le soutien qu’ils reçoivent au jour le jour, que les actions quotidiennes qui favorisent la santé mentale sont prises en considération. Cela signifie qu’il faut veiller à ce que les conditions favorables à la santé mentale soient considérées comme prioritaires, non seulement par les gouvernements locaux, mais aussi par les gouvernements fédéraux qui investissent dans les communautés autochtones pour garantir l’accès à l’eau potable, à des logements sécuritaires et abordables et qui prennent des actions concernant la santé environnementale comme le contrôle de la poussière ou la toxicité des ressources. Ce genre de choses se situe au niveau des infrastructures. De manière plus générale, nous devons penser à investir dans des formes d’éducation qui soutiennent différents types de professionnels œuvrant dans les communautés autochtones. Ces formations doivent s’appuyer sur des approches culturellement pertinentes de la promotion de la santé mentale des Autochtones, mais elles doivent aussi valoriser les connaissances traditionnelles de la guérison qui existent au sein de notre culture, et relatives à nos langues et à nos traditions.   Plutôt que de se concentrer sur une seule chose, une variété de facteurs doivent être pris en considération afin de promouvoir une approche plus positive de la promotion du bien-être et de la santé mentale des Autochtones. 

Rick Harp : Une dernière réflexion, Monsieur Ansloos?

Jeffrey Ansloos : L’une des hypothèses réalistes qui a été émise au début de cette pandémie était qu’il y aurait une importante augmentation des taux de suicide dans les communautés autochtones liée à l’isolement social. Jusqu’à présent, deux choses sont devenues claires. Premièrement, nous n’avons vraiment aucun mécanisme fédéral pour surveiller ce qui se produit en matière de suicide dans les collectivités autochtones, et c’est un vrai problème qui, à mon avis, devra être réglé après la pandémie de COVID-19.   Nous devons adopter une approche plus globale, et une approche régie par la communauté, afin de garantir que nous disposons d’informations précises sur l’offre de soutien à la santé mentale et de traitement de problèmes tels que le suicide dans les communautés. 

Deuxièmement, on a supposé qu’il y aurait… un effet de contagion suicidaire à l’échelle nationale dans les communautés autochtones, mais cette hypothèse émise par la population n’a pas observée jusqu’à présent.   Je pense que ce qui est vraiment clair, c’est qu’il est vraiment important de créer des liens et de vivre en communauté pour promouvoir la santé mentale et le bien-être. Ces mesures d’isolement ont eu un impact sur le grand public et sur la santé mentale, car nous constatons que les gens se rapprochent et s’entraident davantage dans les communautés autochtones.   Je pense qu’il nous faut miser sur cette véritable force pour en tirer des leçons, alors que nous cherchons des moyens de continuer à promouvoir la santé mentale et à aborder la prévention du suicide dans nos communautés. 

Rick Harp : Monsieur Ansloos, je vous remercie.

Jeffrey Ansloos : Je vous remercie beaucoup de m’avoir invité. 

Rick Harp : Pour écouter les autres balados disponibles, dans la série « Les voix du terrain » veuillez visiter le site Internet du Centre de collaboration national de la santé autochtone à https://www.ccnsa.ca/fr/. La musique de ce balado est l’œuvre de Blue Dot Sessions.https://www.sessions.blue/?fwp_sessions=fjell, y compris les pistes Gra Landsby et Red City Theme. Œuvre en usage partagé. Apprenez-en davantage à www.sessions.blue.

 

Voir les biographies et la transcription