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Baladodiffusion : Les voix du terrain 008 - Causerie au coin du feu sur la recherche autochtone

octobre 2018

Un séries baladodiffusion : Les voix du terrain
Un séries baladodiffusion :
Les voix du terrain

Les voix du terrain

Bienvenue aux Les voix du terrain, un balado produit par le Centre de la collaboration nationale de la santé autochtone (CCNSA) qui met l’accent sur la recherche innovante et les initiatives communautaires promouvant la santé et le bien-être des peuples des Premières Nations, des Inuits et des Métis au Canada.

Épisode 8 : Causerie au coin du feu sur la recherche autochtone : Une conversation sur la gouvernance et la recherche sur les Autochtones

Au cours du présent épisode, vous entendrez une conversation portant sur la gouvernance et la recherche autochtone avec nos invitées, Mesdames Linda Tuhiwai Smith et Bonnie Healy. Cette discussion informelle sur la recherche autochtone a été organisée par le Bureau des affaires autochtones de l’Université de Winnipeg (AN) en partenariat avec le Secrétariat à la santé et au développement social des Premières Nations du Manitoba (AN). L’événement a eu lieu le 11 avril 2018 à l’Université de Winnipeg et a été animé par Mme Vanessa Tait, membre de la communauté de South Indian Lake au Manitoba et analyste des politiques et chercheuse auprès de Nanaandawewigamig. Madame Linda Tuhiwai Smith d’Aotearoa (Nouvelle-Zélande), Ph. D., académicienne et chercheuse de renommée internationale, a travaillé dans les domaines de l’éducation et de la santé chez les Maoris pendant plusieurs années et elle y a laissé sa marque. Son ouvrage révolutionnaire, Decolonising Methodologies Research and Indigenous Peoples est encore aujourd’hui un succès international. Elle est actuellement professeure de maori et en études autochtones à l’Université de Waikato. Madame Bonnie Healy est infirmière autorisée et appartient à la première nation Kainai, ou tribu des Bloods. La chercheuse est à l’heure actuelle directrice des opérations du Centre de gouvernance de l’information des Premières nations de l’Alberta. Sa compréhension claire des données utilisées comme outil pour le changement et sa passion nourrissent son ardeur au travail auprès des dirigeants et des communautés des Premières nations. Au cours du présent programme, ces deux personnalités offriront un aperçu des possibilités et des défis entourant la réalisation et le soutien à la recherche, y compris la recherche en santé, au sein de communautés autochtones, en leur qualité de chercheuses universitaires autochtones.

 

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Linda Tuhiwai Smith
Linda Tuhiwai Smith
Crédit photo : Te Rāwhitiroa Bosch

Bios

Madame Linda Tuhiwai Smith (AN) d’Aotearoa (Nouvelle-Zélande), Ph. D., académicienne et chercheuse de renommée internationale, a travaillé dans les domaines de l’éducation et de la santé chez les Maoris pendant plusieurs années et elle y a laissé sa marque. Son ouvrage révolutionnaire Decolonising Methodologies Research and Indigenous Peoples (1998) traduit en espagnol, en chinois, en arabe, en italien et en indonésien (bahasa indonesia) est encore aujourd’hui un succès international. Cet ouvrage précurseur est une ressource de base permettant de jeter un regard critique sur les relations qui existent entre les protocoles de recherche institutionnelle dominants et les systèmes de savoir autochtone. Plusieurs autres auteurs ayant suivi son exemple ont depuis publié des livres qui guident tant les étudiants autochtones que les étudiants non autochtones et tant ceux de demain que ceux d’aujourd’hui.

L’œuvre de Madame Smith fait d’ailleurs l’objet d’une large diffusion dans bon nombre d’articles scientifiques et de livres. Elle continue d’inspirer les penseurs autochtones à devenir des érudits en ce qui concerne leur propre épistémologie et à reconnaître et à réapprendre que les peuples autochtones doivent se réapproprier la recherche selon leurs propres méthodes d’enquêtes traditionnelles.

Madame Smith a occupé plusieurs postes, dont celui de codirectrice fondatrice du Centre d’excellence en recherche maori, de pro-vice-rectrice maorie et de doyenne de l’École maorie et de développement du Pacifique à l’Université de Waikato en Nouvelle-Zélande. Elle est actuellement professeure en études maories et autochtones (AN) à l’Université de Waikato.

Madame Smith a reçu plusieurs distinctions pour l’excellence de ses recherches et sa contribution à l’éducation des Maoris. En 2013, elle a été reçue Compagnon de l’Ordre du mérite de la Nouvelle-Zélande pour son travail en éducation et auprès des Maoris. Elle a été nommée membre de la Société royale de la Nouvelle-Zélande en 2016. En 2017, elle a reçu le Prix du premier ministre pour l’ensemble de son travail en éducation.

Elle a élaboré, conjointement avec son mari Graham Smith également professeur et collègue, les premiers programmes de premier cycle et d’études supérieures en éducation du peuple maori et des Autochtones, un fait inédit pour une université de la Nouvelle-Zélande.

Madame Smith sert de point de référence inestimable pour toute institution engagée à « autochtoniser » ses espaces et ses approches de recherche. Elle a clairement encouragé les institutions académiques à reconnaître que les connaissances autochtones ne devraient pas être subordonnées aux connaissances universitaires dominantes, mais plutôt respectées en tant que voies parallèles de la connaissance.

 

Bonnie Healy
Bonnie Healy

Madame Healy appartient à la première nation des Pieds-noirs de la nation Kainai (tribu des Bloods) au sud de l’Alberta. La chercheuse est à l’heure actuelle directrice du Centre de gouvernance de l’information des Premières nations de l’Alberta (AN) (CGIPNA).

Son expérience et son expertise en matière de systèmes d’information des Premières nations lui donnent une compréhension claire de l’utilisation des données comme outil favorisant le changement et c’est ce qui la passionne. Les renseignements obtenus grâce à madame Healy ont donné une voix aux chefs des Premières nations de l’Alberta pour leur droit à l’autodétermination, au contrôle et à la compétence concernant des travaux de recherche fiables et des statistiques précises. Le présent ouvrage découle du mandat du Chef de l’Alberta qui consiste à appuyer les principes liés à la propriété des données, des renseignements et des savoirs traditionnels, à leur contrôle, à leur accès et à leur possession par les Premières Nations (PCAP®). Le travail réalisé par madame Healy auprès des dirigeants et des communautés des Premières nations assure ainsi la liaison et la facilitation des relations entre les systèmes occidentaux et les priorités ciblées par les Premières nations, ce qui permet de mieux reconnaître les compétences et la gouvernance des Premières nations en ce qui a trait à la collecte et à l’utilisation des renseignements et des données qui les concernent dans le cadre de leurs initiatives de recherche.

La chercheuse est une championne et une collaboratrice qui croit fermement qu’au moyen de partenariats, il est possible d’avoir une incidence positive sur les résultats en matière de santé pour les Premières Nations de l’Alberta et à l’échelle du pays.

 

Transcription

Vanessa Tait – Ninanskomitin, merci à tous de vous joindre à nous pour cette discussion informelle. Imaginez-vous assis autour d’un feu puisque c’est l’endroit où nos ancêtres, les membres de nos familles et nos gardiens du savoir prenaient place pour nous raconter des histoires, nous transmettre leurs enseignements et nous illuminer grâce à leur savoir et à leur expérience de la vie. Comme nous allons l’entendre dire par ces deux femmes autochtones extraordinaires qui sont des précurseures pour chacun de nous ici aujourd’hui, c’est un espace de dialogue sacré et nous sommes impatients de commencer la discussion. Nous nous demandons donc premièrement ce que l’autodétermination et la recherche signifient pour vous, chercheuses autochtones?

Madame Tuhiwai Smith – Je crois que ces expressions liées à la recherche ont plusieurs significations puisqu’il existe de la recherche sur l’appropriation de l’autonomie par les peuples autochtones et qu’il existe aussi de la recherche sur ce qui peut faire l’objet de recherches dans la mesure où les peuples autonomes l’acceptent parce qu’elles leur ressemblent. Vous pouvez en quelque sorte imaginer ce que nous devons essayer d’atteindre, d’une part en utilisant des connaissances afin d’éclairer nos tentatives de nous autodéterminer et de l’autre, en imaginant ce que cela signifie à notre époque que d’être un peuple autochtone autonome – en tant que nation autochtone, communauté autochtone, famille autochtone et personne autochtone –, car chacune de ces entités est l’incarnation de l’autodétermination. On s’attend alors à ce que les personnes mettent quotidiennement l’autodétermination en pratique. Je crois que la recherche y joue un rôle, mais qu’il ne s’agit pas du seul facteur dictant ce à quoi cela devrait ressembler et la façon dont nous pourrions l’imaginer. Donc, j’ai tendance à voir la recherche comme notre façon de recréer, de nous réapproprier et de créer des connaissances, à la fois nouvelles et anciennes comme celles de nos ancêtres que nous avons besoin de vivre à notre époque et je crois que la recherche n’est qu’une partie du concept d’autodétermination, tout en étant une partie importante.

Madame Healy – Les mots avec lesquels je vais décrire l’autodétermination, selon ma compréhension en tant que membre de la nation des Pieds-Noirs, proviennent tous de mes ancêtres et de mes Anciens. Je suis l’arrière-arrière-petite-fille du grand chef Red Crow qui a signé le Traité 7 lors de la conclusion de notre accord. Quand je m’adresse à nos partenaires gouvernementaux et à nos bailleurs de fonds, tant le gouvernement fédéral que provincial, en Alberta, je m’assure qu’ils comprennent que l’autodétermination et la souveraineté ne faisaient pas partie des négociations du Traité. Mes ancêtres n’ont pas renoncé à leur identité et à la reconnaissance de leur souveraineté en tant que peuple des Pieds-Noirs lorsqu’ils ont signé le Traité. Ils l’ont conclu avec la notion qu’ils allaient partager le territoire avec les colons. La relation a été scellée par le Traité avec mes ancêtres au cours d’une cérémonie. Nous comprenions que lorsque nous concluons une entente de relations par un Traité, nous promettons solennellement le maintien de notre engagement et nous scellons l’entente par une cérémonie. Comme Leroy Littlebear l’a dit, « c’est comme le graver dans la pierre », comme on l’a fait avec les dix commandements, pour ainsi dire. Je suppose que la façon la plus rapide, et j’aime comment Leroy Littlebear l’a énoncé, « la route la plus directe vers l’autodétermination est de connaître sa propre langue ». Si vous ne parlez pas la langue des Pieds-Noirs, vous ne penserez pas comme un Pied-Noir. » Si vous voulez être autonome, il est important que vous conceviez les choses comme les Autochtones le font et pour moi, de connaître ma langue – me permet de penser comme une Pied-Noir.

Vanessa Tait – Kinananskomitin [merci] de nous avoir fait part de vos réflexions. Pour approfondir davantage la question, pouvez-vous décrire une réussite et un défi dont vous avez fait l’expérience comme chercheuses autochtones afin de faire valoir l’autodétermination en recherche et de quelle façon les avez-vous abordés?

Madame Tuhiwai Smith – Aucun moment en particulier n’est significatif, mais je sais que si je considère ma carrière et mes presque 40 années comme chercheuse et comme enseignante, l’une des plus grandes transformations dont j’ai été témoin dans notre monde est la capacité des communautés de croire tout naturellement qu’elles peuvent faire de la recherche, demander des subventions, diriger des travaux de recherche, accueillir les chercheurs dans la communauté et publier leurs ouvrages. D’après moi, nos communautés sont aux commandes beaucoup plus qu’avant. Mon dernier mot concernant l’autodétermination est que ce n’est pas fini. Nous étions autonomes jusqu’au moment de la colonisation. Si vous préférez, nous cherchons la définition légale de l’autodétermination, mais ça ne s’arrête pas là. Une chose est certaine, nous sommes des peuples en voie de devenir autonomes, mais nous ne savons pas réellement ce à quoi l’autonomie ressemble. Je crois que nous hésitons parce que nous ne pouvons comparer avec ce qui se faisait autrefois, étant donné que nous avons changé, nous aussi. Un grand nombre de nos institutions avant la colonisation ont maintenant disparu, par notre volonté délibérée, car elles ne nous étaient plus utiles. Nous avons fondé de nouvelles institutions qui convenaient à notre époque. Donc, qu’est-ce que cela signifie d’être autonome en considérant l’avenir qui se dresse devant nous? Je crois que nous mettrons en place de nouvelles institutions, nous tisserons de nouvelles formes de relations, nous essaierons d’être des peuples autochtones nouveaux genres, mais je ne sais pas ce à quoi cela ressemblera. Mon rôle est d’aider à créer des espaces, des idées et la langue dans lesquels nous pourrons imaginer cela.

Madame Healy – Et ce, afin de vraiment nous assurer que le consentement éclairé préalable et libre et que les principes de propriété, de contrôle, d’accès et de possession des Premières Nations (PCAP) sont respectés dans l’ensemble des relations où la collecte de données est prévue, ce qui comprend la recherche. Ma première entente de partage de données PCAP n’a pas été conclue avec l’Alberta ni avec une institution universitaire ni avec le Canada, mais bien avec l’OMS [Organisation mondiale de la santé]. Mettre en place cette relation et obtenir cette entente de partage de données a été tout un défi, mais aussi un énorme accomplissement. Cette entente a établi un précédent qui signifie « si je peux obtenir une entente de partage de données avec l’OMS, alors vous, en tant qu’institution universitaire, province ou gouvernement fédéral, vous pouvez aussi l’obtenir ». Il s’agit donc d’essayer de progresser dans les voies où vous pouvez atteindre les plus hauts objectifs. Les défis consistent à établir un espace éthique et des relations fondées sur l’éthique; nous récoltons le résultat de nos bons coups par la suite.

Vanessa Tait – Quel conseil donneriez-vous à ces étudiants qui sont intéressés par une carrière d’universitaire autochtone?

Madame Tuhiwai Smith – Qu’est-ce que ça signifie être un académicien autochtone? Je crois que ce que cela signifie de prendre une large part de responsabilités dans la défense de notre peuple, afin de créer des espaces qui lui sont destinés dans des environnements qui sont souvent plutôt hostiles tout en étant propices à nos communautés, car ils offrent des occasions requises à leur survie. Je crois que ma génération était plus politisée et a vu l’université comme une institution devant être transformée pour que les académiciens autochtones puissent exister et à plus forte raison, s’épanouir. Je crois que la prochaine génération a d’autres responsabilités. Nous aurons toujours à défendre notre place, je crois, dans les institutions de ce type. Cela dit, ce n’est que défendre notre place, mais il y a aussi la nécessité de défendre ce que notre peuple fait. L’érudition est importante, mais comprenez pourquoi vous travaillez en ce sens. Est-il utile d’obtenir une spécialisation en savoir autochtone? Non. J’ai de bons et jeunes collègues qui sont des philosophes ou des scientifiques, qui exercent dans le milieu juridique universitaire ou dans toutes sortes de disciplines. Ils n’étudient pas nécessairement le savoir autochtone, mais ils se reconnaissent comme des Autochtones et des universitaires. Ils participent à la communauté des universitaires autochtones. Ils agissent en qualité de mentors auprès d’étudiants autochtones. J’entends certains dire parfois « Je ne sais pas pourquoi on nous demande toujours de nous occuper des étudiants à problème » (c.-à-d. des étudiants autochtones). Eh bien, je crois que c’est un honneur.

Madame Healy – Je crois que mon premier conseil est de se connaître soi-même, d’être bien conscient de la personne que nous sommes. Si vous vous connaissez vraiment bien et êtes une personne d’origine autochtone – que vous connaissez votre langue – vous pourrez commencer à penser comme une personne autochtone. Si vous vous connaissez et que vous êtes conscient de qui vous êtes, que vous conscients de vos systèmes de valeurs et de croyances, vous pourrez mieux comprendre – surtout si vous êtes une personne d’origine non autochtone qui offre ses services aux Premières nations – la vision parallèle du monde qui s’offre à vous, y être ouvert et réaliser que votre perspective du monde est celle du monde occidental et que votre système de valeurs correspond à l’endroit d’où vous venez – ce qui vous permettra d’être vraiment ouvert aux visions parallèles du monde. Lorsque vous apprenez ce en quoi consiste la réalisation de soi et que vous apprenez qui vous êtes, particulièrement qui vous êtes en tant que personne d’origine autochtone, et que vous comprenez que l’éducation occidentale ne fait pas de vous un expert en quoi que ce soit, il est bien de connaître la théorie de base, de bien comprendre comment guider et soutenir ceux qui ont besoin de se faire entendre dans le domaine de la recherche. En votre qualité de nouveau chercheur, cherchez ces mentors qui vous transféreront doucement leurs connaissances et leur compréhension à mesure que vous progressez dans la vie et que vous vous fortifiez et ensuite, vous aurez la responsabilité de faire de même avec les générations qui vous suivent. Donc, si vous tenez à faire ce travail dans le monde d’aujourd’hui, il est important de trouver des personnes qui vous soutiendront dans vos entreprises. Ne vous obstinez pas sur la finalité des choses comme vos circonstances après avoir obtenu votre doctorat, livré votre thèse ou comblé les exigences liées à votre subvention ou... l’impression de devoir obtenir certains résultats à la suite de la publication de vos ouvrages, car si vous restez fixés sur la finalité, vous raterez l’occasion importante d’établir de bonnes relations. Afin d’établir ces bonnes relations, la prochaine fois que vous serez seuls, allez visiter une nation avec laquelle vous voulez travailler et ne mentionnez pas votre recherche pendant environ un an, ainsi vous apprendrez à connaître ces personnes, ainsi que leurs habitudes de vie et la façon dont ils comprennent le monde. Ensuite, vous commencerez à travailler avec eux en ce qui a trait à leurs priorités. Que veulent-ils changer? Que veulent-ils corriger et de quelle façon pouvez-vous les appuyer?

Vanessa Tait – C’est le revers de la médaille... quel conseil donneriez-vous aux chercheurs, qu’ils soient d’origine autochtone ou non, qui sont intéressés à entreprendre des travaux de recherche portant sur les Autochtones?

Madame Tuhiwai Smith – C’est une chose à laquelle vous vous préparez, pour laquelle vous avez été formée, qui est l’objet de vos lectures et pour laquelle vous trouvez des mentors. C’est comme ça dans n’importe quel domaine de recherche. S’il y a une chose, on pourrait vous affirmer dans le cadre de certaines disciplines que votre rôle est de vous introduire au sein d’une communauté à titre d’observateur indépendant. Vous plongez tête baissée et vous vivez une expérience d’immersion totale. Je peux comprendre la raison pour laquelle ils parlent ainsi, mais il est très difficile pour un chercheur autochtone de visiter une communauté autochtone et de rester neutre. Je ne pense pas qu’entreprendre des travaux de recherche sur les Autochtones soit simple ou facile. Je crois qu’il s’agit d’une pratique attentive et réfléchie. En ce qui me concerne, la recherche sur les Autochtones a été l’affaire d’une vie et je n’ai pas du tout l’impression d’être une experte. En recherche autochtone, je suis toujours en train d’apprendre. Nous sommes le segment de la population sur lequel il se fait le plus de recherche dans le monde. C’est que j’entends les Autochtones dire à l’échelle de la planète. J’ai quelques difficultés avec cette perception. Qu’est-ce que ça signifie de croire que vous appartenez au peuple sur lequel il se fait le plus de recherche dans le monde? Qu’est-ce que cela veut dire exactement? Parce que physiquement, ça me donne le goût de faire marche arrière. De me sentir pénétrée par le regard des chercheurs de l’extérieur, leur intrusion, leur présence physique, le rapport de forces, tout cela me rend inconfortable. C’est comme cela que j’ai commencé, en essayant de comprendre les différentes facettes de la recherche incarnée par une personne. Parfois, je me définis comme une chercheuse maorie ou autochtone, une chercheuse sur la décolonisation ou encore une chercheuse Kaupapa Maori. Ce sont toutes des étiquettes selon moi, et je ne me fie pas sur elles pour définir entièrement qui je suis. Elles ne suffisent pas pour exprimer tout ce que je ressens. Je crois qu’elles font toutes partie d’un casse-tête incomplet.

Madame Healy – Je crois que Madame Tuhiwai Smith vous a confié d’excellents points pour comprendre de manière expérientielle ce qu’il faut penser de la recherche avec les peuples autochtones pour se réaliser pleinement et comprendre qui vous êtes vraiment en tant qu’individu. Il est important de connaître les politiques auxquelles vous êtes tenus de vous conformer. Si vous désirez faire une recherche en entrant en relation avec un peuple autochtone et qu’un des trois conseils vous octroie une subvention, consultez le Chapitre 9. J’ai aidé à corédiger le chapitre 9 avec l’impression que j’allais m’approprier ce chapitre – il contient trop d’expressions bibliques – « vous pouvez » et « vous devez » – pour pouvoir jouer sur les mots, c’est carrément impossible. Mais je dis toujours aux chercheurs que la partie la plus importante du chapitre 9 est son préambule. Il y est stipulé que les protocoles et l’éthique de recherche des Premières nations prévaudront sur ce chapitre. C’est la partie la plus importante du chapitre 9 et des trois conseils. Apprenez à connaître les politiques et vos limites. Si vous faites de la recherche en tant qu’universitaire ou de membre d’une université pour obtenir un poste dans une institution, vous devez savoir ce que vous avez le droit ou non de signer. Ne vous présentez pas dans une communauté autochtone en promettant des choses lorsque vous n’y êtes pas autorisé. Cela compte beaucoup pour les peuples autochtones. Ils défendront leur propriété intellectuelle et votre institution ne la leur concédera pas. Ce sont des choses que vous devez comprendre. Quelle est leur politique à ce sujet? Quelle est leur politique au sujet du consentement préalable, libre et éclairé? Et même vous en tant que chercheur, l’une des choses qu’aiment les chercheurs est leurs données qu’ils chérissent comme leur premier né, n’est-ce pas? Vous demandez à un chercheur « À qui sont ces données » et il vous répondra « Elles m’appartiennent ». Non, ce n’est pas vrai. Car elles ne correspondent pas à votre expérience vécue. Cette donnée ne vient pas de vous, elle provient d’un lieu et d’un peuple. Apprenez à connaître les véritables propriétaires des données. Donc, tout ce dont je vous entretiens, à propos de la vision mondiale de laquelle cela est issu... vous devez tenir en haut respect la partie ayant trait à la possession (de la PCAP). Sachez dès le départ, lorsque vous instaurez une relation avec un Autochtone, que les propriétaires légitimes doivent être reconnus dans la propriété de l’information, car ce sont eux qui devront vous aider à contextualiser l’information selon leur vision du monde et vous devez l’accepter. C’est pourquoi il est très important de vous connaître vous-même et de connaître vos limites. Si l’université ou l’institution n’a pas de politiques qui concordent avec les promesses de la Commission de vérité et réconciliation du Canada et la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, vous devez alors collaborer avec les décideurs pour vous assurer de mettre à jour et de modifier ces politiques de façon à ce que les institutions universitaires puissent établir les relations voulues. Je suis maintenant analyste pour les Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC) et je fais partie de leur groupe de révision. Vous devez y mettre du cœur, vous savez, spécialement si vous être une personne d’origine autochtone et que vous faites de la recherche sur votre propre peuple. Vous devez vous asseoir avec eux lors des cérémonies jusqu’à la fin de vos jours, donc si vous êtes injustes avec eux ou que vous leur faites du mal d’une quelconque façon, vous allez vous en souvenir longtemps. Vous devrez encore vous prendre place avec eux. Même lorsque vous quitterez cette terre, vous aurez votre responsabilité ancestrale. Il est donc important de savoir ce que vous faites, d’essayer de faire du mieux que vous pouvez et de connaître les limites des politiques et des lois occidentales. Merci.

Vanessa Tait – Kia ora et kininaniskomitin [merci].

 

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