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James Makokis

Baladodiffusion : Les voix du terrain 12 - S’adapter à la COVID-19 : Réflexions sur la manière de rester attaché aux traditions et aux cérémonies pendant la pandémie

mai 2020

Un séries baladodiffusion : Les voix du terrain
Un séries baladodiffusion :
Les voix du terrain

Les voix du terrain

Bienvenue aux Les voix du terrain, un balado produit par le Centre de la collaboration nationale de la santé autochtone (CCNSA) qui met l’accent sur la recherche innovante et les initiatives communautaires promouvant la santé et le bien-être des peuples des Premières Nations, des Inuits et des Métis au Canada.

Épisode 12 : S’adapter à la COVID-19 : Réflexions sur la manière de rester attaché aux traditions et aux cérémonies pendant la pandémie 

Dans cet épisode, le Dr James Makokis, fier membre de la Première Nation crie de Saddle Lake, fait part de ses idées sur la façon dont les peuples autochtones peuvent rester attachés à leurs aînés et à leurs traditions tout en respectant les directives de santé publique sur l’éloignement social. Il présente également quelques réflexions sur la manière dont les pratiques cérémonielles pourraient devoir s’adapter, de manière constructive, pour garantir la santé et la sécurité des populations et des communautés autochtones pendant la pandémie. Ce webinaire a été enregistré le 1 mai 2020.

 

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Bio

James Makokis
James Makokis

Dr. James Makokis est fier d’être membre de la Première Nation crie de Saddle Lake, dans le nord de l’Alberta. Leader et expert reconnu au sein de la communauté autochtone, médicale et LGBTQ2, le Dr Makokis est titulaire d’une licence en nutrition et en sciences alimentaires, d’une maîtrise en sciences de la santé en nutrition communautaire et d’un doctorat en médecine. Il siège présentement à plusieurs conseils d’administration, dont le Waakebiness-Bryce Institute for Indigenous Health de l’Université de Toronto et le conseil consultatif autochtone de l’Université MacEwan. En 2007, le Dr Makokis a reçu le National Aboriginal Achievement Special Youth Award. Plus récemment, lui et son partenaire, Anthony Johnson, ont été couronnés vainqueurs de la saison 7 de l’Amazing Race Canada.

 

 

Transcription

Rick Harp : Dr Makokis, bien que nous sachions tous qu’il existe des directives spécifiques concernant l’éloignement social, pouvez-vous nous parler de certaines façons dont les peuples autochtones peuvent rester en contact avec les aînés et attachés à leurs traditions durant la pandémie de COVID-19?

Dr Makokis : Oui, bien sûr. Je pense que, de nos jours, nous avons la chance d’avoir, entre autres, de nombreux moyens de le faire selon différents degrés de technologie. Je pense que les jeunes le faisaient déjà avec les aînés même avant que la COVID ne touche Turtle Island, car ils œuvrent à préserver nos langues, nos traditions, nos chansons et tous ces éléments dont nous avons besoin pour rester en bonne santé dans nos communautés et notre nation. Je vais juste donner un exemple qui me concerne. Dans le cadre de ma formation en médecine, j’ai dû m’absenter de chez moi pendant 13 ans et il était difficile de maintenir ces liens. Heureusement, j’ai pu enregistrer la voix des aînés, leurs enseignements et leurs chansons. D’ailleurs, nous nous servons de nombreuses chansons pour nos cérémonies. Je me rends vraiment compte que si les jeunes ne prennent pas cette initiative, il y a un risque de perdre cet héritage qu’est notre patrimoine. Heureusement, ces aînés ont eu l’amabilité de me permettre de le faire. Ainsi, il y a longtemps, l’application des connaissances se faisait par le biais de récits racontés la plupart du temps en hiver. On nous parlait de notre âcimôwin, de notre légende ou de notre esprit qui enseigne notre histoire dans notre mikawap, notre tipi. Nous pouvons encore le faire aujourd’hui, même si nous ne vivons plus dans un tipi. Je suis aussi coureur de fond, ou marathonien, et je courais pendant 3 à 4 heures en écoutant ces enregistrements et ces chansons. J’avais l’impression de me trouver dans le salon de cette personne et d’entendre tout ce qu’elle me disait et me transmettait, un peu comme les gens apprenaient auparavant en écoutant une chanson à maintes reprises, réunis dans un tipi. Je pouvais simplement appuyer sur la touche de répétition et écouter la même chanson de la même manière et à maintes reprises pour pouvoir l’apprendre en retournant à la maison et la chanter ou la distribuer. J’en étais capable et j’en étais fier. Lorsque nous cherchons à apprendre à connaître notre culture et à la garder, nous contribuons à redonner à notre peuple. Je pense que nous devrions l’inculquer aux jeunes pour qu’ils puissent eux aussi contribuer à nouveau à notre peuple. Même lorsque nous sommes loin de nos aînés, comme c’est le cas durant la pandémie de COVID en ce moment, nous avons toujours le choix de poursuivre ces activités si elles sont nécessaires. Je pense qu’il s’agit aussi d’un enseignement que nous retenons de la situation avec la COVID-19 : même si nous sommes loin de nos enseignants et des personnes qui détiennent les connaissances, nous sommes encouragés à être indépendants, à utiliser ce qu’ils nous ont appris et à aller de l’avant. Vous pouvez toujours rester en relation avec eux, que ce soit sur FaceTime ou par SMS ou au moyen des différentes méthodes dont nous disposons pour pouvoir rester attachés à nos aînés. Ils ont tous des iPhones ou des petits-enfants qui ont cette technologie sous la main. Il s’agit d’un autre moyen dont nous disposons et qui témoigne de notre souplesse en tant que peuple et de la façon dont nous nous sommes toujours adaptés.

Vous pouvez toujours vous sentir en compagnie de vos enseignants tout en étant physiquement loin d’eux. Nous avons quatre peaux d’orignal au congélateur que nous n’avons pas encore eu le loisir de préparer. Maintenant que nous avons du temps et sommes à la maison, nous prévoyons d’installer nos tendeurs pour tanner nos peaux. Anthony et moi nous occuperons d’une peau d’orignal, puis à quelques pas de nous, nos amis qui appartiennent au même clan s’affaireront sur l’autre peau. Si l’un de nos aînés enseignants veut venir inspecter, il est libre de se joindre à nous et de nous enseigner à quelques pas de distance pour nous permettre de continuer à travailler. Nous devons seulement faire des efforts supplémentaires pour exercer davantage de prudence quant à la façon dont nous opérons maintenant.

Rick Harp : Dr Makokis, pouvez-vous nous parler des stratégies de réduction des risques que les populations autochtones pourraient envisager en ce qui a trait aux pratiques cérémonielles durant la pandémie?

Dr Makokis : Je pense que nous devrons être très prudents lorsqu’il s’agira de nous réunir pendant l’été. Nous devons vraiment tirer des leçons de ce qui s’est passé à certains endroits où nos proches vivent. Par exemple, la nation Navajo a autant de cas de la COVID que la province de l’Alberta qui compte environ 3 millions d’habitants. Pourtant la nation Navajo ne compte qu’environ 100 000 personnes. Nous constatons la dévastation que subissent nos proches là-bas. Cette dévastation, rapportée par les médias, est en partie due au fait que les gens se rassemblent malheureusement encore, et que la COVID continue à se répandre dans la communauté. En ce qui concerne les stratégies de réduction des risques, notre peuple a toujours été ouvert à de nouvelles méthodes, non à de nouvelles façons de faire, mais à s’adapter selon les besoins. Il suffit de penser à ce qui s’est passé autrefois, aux conséquences pour notre peuple, qui sont encore très ancrées dans la mémoire et l’esprit des gens qui participaient aux cérémonies, ou des gens qui respectaient la tradition. L’interdiction des cérémonies, imposée par la Loi sur les Indiens et la législation fédérale, signifiait que nos gens étaient passibles d’une peine de prison s’ils organisaient des cérémonies et les mettaient en œuvre. Il s’agit donc d’une question très sensible pour notre peuple en ce moment. Il est clair que certaines juridictions ont mis en place des interdictions de ce type, dans tout le pays.

Je pense que nous devons réfléchir à la créativité de notre peuple. Par conséquent, certaines histoires sur lesquelles je me penche, et certains enseignements qui ont été transmis dans le passé, à l’époque des interdictions cérémonielles, sont le fruit de la créativité de notre peuple. Mon grand-père vivait à l’écart dans les montagnes, loin de tous les agents des Indiens. Il parcourait la brousse et se cachait quand les agents arrivaient. Il a été réprimandé. À l’époque, en espérant garder leurs coutumes, la cérémonie des étuves, un matotisân se passait à l’intérieur d’un tipi. De sorte que si l’un agent des Indiens s’approchait du tipi, il ne pouvait pas voir à l’intérieur où se pratiquait la cérémonie et se déroulait cette partie importante de notre vie que nous voulions préserver et qui consistait à prier et à communiquer tout en conservant nos moyens de subsistance si importants pour nous. Nous vivions vraiment sous la menace de nous voir imposer, de manière quasi militaire, une autre loi que celle de notre peuple, mais nos gens se sont adaptés pour préserver leur façon de vivre malgré les changements qui sont survenus. La même chose s’est produite avec certaines des danses du soleil tenues dans la prairie. Elles ont en fait été quelque peu abrégées parce qu’il n’était pas possible de célébrer la cérémonie en entier. Elles auraient duré trop longtemps compte tenu du risque que l’agent des Indiens n’arrive à l’improviste. Ils ont donc écourté la cérémonie. Quand on est plus jeune, on se demande un peu pourquoi on fait certaines choses et quand on comprend l’histoire et la façon dont notre peuple a été touché, on réalise qu’il a toujours été créatif et qu’il s’est toujours adapté à ces situations. Ce sont là certains des enseignements auxquels je réfléchis et, pour ce qui est de la situation actuelle, nous devons également nous adapter et faire preuve de souplesse dans tout ce que nous faisons. Si nous devions avoir une cérémonie des étuves chez moi, par exemple, j’encouragerais les gens qui vivent dans mon foyer à en faire autant.

Le problème avec ce virus, c’est que les gens peuvent être porteurs et asymptomatiques pendant 14 jours, ce qui est long quand on doit se souvenir de ce que nous avons fait il y a 12 jours. Je suis sûr que la majorité d’entre nous ne pourrait pas se le rappeler, ni même se rappeler ce qu’ils faisaient il y a trois jours. Donc, en ce moment, vous pouvez contracter la maladie sans présenter de symptômes et la transmettre ensuite à beaucoup de vos proches, de nos aînés et de chefs de cérémonie sans même vous en rendre compte. Il s’agit d’un point que nous devons prendre très au sérieux parce que nos aînés et nos guérisseurs traditionnels sont très importants à nos yeux, comme l’est d’ailleurs toute notre communauté, en particulier nos enfants, et nous voulons protéger les personnes les plus vulnérables parce que nous avons besoin d’elles. Ces connaissances doivent perdurer, et se transmettre aux jeunes. Dans le passé, j’ai vu la manière dont d’autres communautés ont adapté leurs cérémonies. Je pense à certaines des danses du soleil dans les prairies où l’on pratiquait des perçages. Ils ont adopté des stratégies de réduction des risques. En effet, on utilise maintenant un nouveau scalpel et de nouveaux gants pour chaque participant, ce qui est une bonne chose. Je pense que cela démontre une réelle compréhension de la situation actuelle en matière de prévention de la transmission de maladies véhiculées par le sang comme dans le cas de l’hépatite B ou du VIH. Nous avons dorénavant accès à ces connaissances qui n’existaient pas dans le passé. Nous n’avions pas besoin d’apporter ces changements dans le passé. Cependant, la réalité en ce qui nous concerne, c’est que beaucoup de maladies sont surreprésentées dans les populations autochtones pour diverses raisons liées à la colonisation, à la société elle-même et aux disparités sociales. Nous parlons notamment des personnes atteintes du VIH et de l’hépatite B.  Par conséquent, si ces changements ne sont pas apportés, il est possible que des personnes ayant joint un rassemblement afin d’obtenir de l’aide le quittent tout en étant atteintes d’une maladie qu’elles n’auraient peut-être jamais contractée autrement.

En ce qui concerne la COVID, je pense qu’il existe certaines solutions possibles dans le cadre de la réduction des risques pour empêcher la propagation au sein de nos communautés et à l’extérieur. Nous savons que lorsque nous nous réunissons pour une cérémonie, nous menons la réunion de manière appropriée, bien que nous venions de différents endroits à travers le pays. Une cérémonie peut donc avoir lieu sur le territoire couvert par le Traité 6, et à laquelle se joindront d’autres personnes qui viennent d’un territoire couvert par le Traité 7, le Traité 8, le Traité 4 ou encore le Traité 3 pour apporter leur soutien. Ce qui est en soi remarquable, puis elles retourneront dans leurs communautés. Dans notre réserve des Premières Nations, nous avons vraiment la chance d’avoir eu très peu de cas jusqu’à présent et cela s’explique en partie par le fait que nos dirigeants ont été très proactifs pour sécuriser nos frontières et limiter l’entrée aux seuls membres de la bande et de la communauté, aux travailleurs de santé essentiels et aux fournisseurs de services sociaux parce que nous avons tiré des leçons des pandémies précédentes. Nous devons continuer à faire preuve de la même vigilance tout en persévérant à comprendre la COVID-19 et ses effets dévastateurs potentiels sur notre population au moment venu, soit au cours de la deuxième vague et de la troisième vague. Nous pouvons encore organiser quelques cérémonies, mais nous devons faire les choses différemment ou nous devons réfléchir à la manière de les faire différemment, ce qui peut se traduire par du travail supplémentaire. Comme je l’ai dit, je pense que de nombreuses communautés ont été fermées. Une option consisterait à n’accepter que les personnes issues de cette communauté à la cérémonie, à s’adapter à la COVID et à comprendre qu’elle peut se propager à d’autres communautés ou que des personnes peuvent la transmettre. On pourrait faire en sorte que seules les personnes de cette communauté assistent à la cérémonie et qu’on leur fasse subir un test de dépistage rapide pour s’assurer qu’elles ne sont pas porteuses du virus et qu’elles demeurent sur le site comme prévu, puis retournent chez elles et s’isolent pendant 14 jours.  L’autre option serait la suivante : si les gens viennent de l’extérieur et que la communauté a été fermée aux étrangers, il faut leur demander d’arriver 14 jours avant la cérémonie, et de séjourner avec leur famille uniquement dans la région et de se priver de contact avec d’autres personnes. Avant un rassemblement, on teste à nouveau tout le monde rapidement pour s’assurer que le virus n’est pas présent, puis, après le rassemblement et le retour à la maison, on préconise l’isolement à nouveau pendant 14 jours. Dans le cadre du rassemblement proprement dit, il faut envisager d’éviter d’échanger certains articles ou instruments. Vous êtes à même de constater combien de travail supplémentaire et de planification il faudrait pour y parvenir. Il existe d’autres options pour les gens qui veulent continuer à participer au rassemblement en raison de leur engagement tout en conciliant les exigences. De nombreux médecins et travailleurs de la santé autochtones se fient beaucoup à nos enseignements. Nous avons un mode de vie qui nous est propre et il est important que nous travaillions tous ensemble pour assurer la sécurité et le bien-être de tous nos citoyens et de notre nation. Il y a une leçon à tirer, c’est qu’aucune nation n’est à l’abri et que nous devons tous être prudents pour protéger tous les membres de notre nation, car toute perte due à la COVID-19 en est une de trop.

Rick Harp : Dr Makokis, je vous remercie.

Dr Makokis : Oui. Merci beaucoup de m’avoir invité aujourd’hui. Je vous souhaite une bonne journée.

Rick Harp : Pour écouter les autres balados disponibles, dans la série « Les voix du terrain » veuillez visiter le site Internet du Centre de collaboration national de la santé autochtone à https://www.ccnsa.ca/fr/. La musique de ce balado est l’œuvre de Blue Dot Sessions. Utilisée sous licence Creative Commons. Apprenez-en davantage à www.sessions.blue.

 

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