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Balado - Les voix du terrain 17 - Puiser dans les enseignements de la terre pour s’adapter aux changements climatiques

février 2022

Série de balados Les Voix du terrain
Série de balados Les voix du terrain

Les voix du terrain

Bienvenue aux Voix du terrain, une série de balados produite par le Centre de collaboration nationale de la santé autochtone (CCNSA). Le CCNSA met l’accent sur la recherche innovante et les initiatives communautaires visant à promouvoir la santé et le bien-être des Premières Nations, des Inuits et des Métis au Canada.

Épisode 17 - Puiser dans les enseignements de la terre pour s’adapter aux changements climatiques

Dans cet épisode, Spencer Greening, de la communauté tsimshiane de la Première Nation Gitga’at de la Colombie-Britannique, candidat au doctorat de l’Université Simon Fraser, nous amène à faire une démarche pour comprendre en quoi les connaissances, les lois, les systèmes de gouvernance et les récits oraux des Autochtones procurent les renseignements nécessaires à une intendance durable de l’environnement dans le contexte des changements climatiques. Il assoit ses propos en nous rappelant que nous, humains, faisons partie d’un plus vaste écosystème et que nous avons beaucoup à apprendre des enseignements que nous offrent une diversité d’espèces, d’esprits et d’êtres dans notre quête pour trouver des moyens de nous adapter à un environnement changeant.

 

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Biographie

Spencer Greening (La’goot) vient de la communauté tsimshiane de la Première Nation Gitga’at. Il est actuellement candidat au doctorat en études interdisciplinaires de l’Université Simon Fraser et boursier de la Fondation Pierre Elliott Trudeau. Ses recherches portent sur le lien existant entre les connaissances écologiques, la langue et l’histoire traditionnelles des Gitga’at et le contexte de la gestion des ressources autochtones. Spencer détient un baccalauréat en études autochtones/des Premières Nations et une maîtrise en anthropologie de l’Université du nord de la Colombie-Britannique. Ses intérêts plus généraux en matière de recherche comprennent les systèmes de gouvernance autochtones, les identités culturelles et politiques et la mise en correspondance des récits oraux autochtones avec l’archéologie. Tous ses travaux gravitent autour de son attachement profond pour sa communauté natale, les aînés et les territoires, de même que son rapport à l’autodétermination et à la décolonisation des peuples autochtones. Spencer est activement engagé dans des rôles culturels et des travaux au sein de la bande de Hartley Bay et de la Nation tsimshiane dans son ensemble. Étant donné son lien personnel très étroit avec ses travaux, lorsqu’il n’est pas pris par ses engagements professionnels, il passe autant de temps que possible dans son territoire traditionnel pour apprendre des Aînés.

 

Transcription

Spencer : Je m’appelle La’goot. Il s’agit de mon nom tsimshian. Mon nom anglais est Spencer Greening, et je suis originaire du peuple tsimshian – plus particulièrement les Gitk’a’ata, la Première Nation Gitga’at, une tribu du peuple tsimshian établie sur la côte nord-ouest. Je suis actuellement candidat au doctorat en études interdisciplinaires et je touche à une multitude de sujets. Pour décrire mes travaux, je dirais qu’il s’agit d’une interrogation sur la manière dont nous racontons des récits d’intendance et de liens avec les écosystèmes sous l’angle des connaissances autochtones. Mes recherches cernent cette question à l’aide d’une démarche interdisciplinaire.

Roberta : En réalité, nous voulions que notre conversation d’aujourd’hui plonge un peu plus profondément dans les recherches que vous réalisez pour votre doctorat afin de connaître la nature de vos intérêts dans les travaux que vous effectuez et de savoir en quoi les connaissances autochtones, les systèmes de gouvernance autochtones et les récits oraux ou la tradition orale fournissent les renseignements nécessaires à vos travaux sur l’intendance durable de l’environnement, le tout étant bien sûr envisagé dans le contexte des changements climatiques.

Spencer : Effectivement, le thème est vaste. Peut-être que le meilleur point de départ serait cette intime conviction que les humains devraient se considérer comme une partie des écosystèmes. Et lorsque nous y parviendrons, en tant qu’humains, nous serons capables des créations les plus ingénieuses et imaginatives qui soient pour permettre à notre espèce, de même qu’à toutes celles qui nous entourent, de s'épanouir. À travers mes recherches, mes collègues, les personnes que j’ai rencontrées et mes voisins, et en creusant dans les connaissances et les récits oraux des Autochtones, il est devenu évident pour moi que les connaissances autochtones, les lois autochtones, la façon d’être des Autochtones et leur vision du monde balisent avec une justesse impressionnante les voies à suivre pour apprendre à vivre avec les écosystèmes de façon à en devenir des parties intégrantes, pour nous épanouir dans ces écosystèmes et pour les régir, les gérer et pour simplement s’y intégrer.

Et ces façons de penser, ces façons d’être, ces façons de gouverner doivent vraiment influencer notre manière de penser la société, les lois, les politiques, toutes les facettes de la société que nous voyons actuellement.

Roberta : Comment se fait-il que vous vous soyez intéressé à ce champ de recherche?

Spencer : Mon intérêt s’est éveillé dès que j’ai commencé à en apprendre davantage sur les politiques autochtones et la colonisation, et toutes ces sensations que vous éprouvez lorsque l’histoire du Canada se déploie sous vos yeux. On vous enseigne tout cela lorsque vous entrez dans l’âge adulte. C’est au moment où j’ai vraiment pu mettre les morceaux du puzzle en place que j’ai réalisé : Oh! Voilà pourquoi nous pouvons nous sentir en colère ou oppressés en tant qu’Autochtones. Voilà pourquoi ma famille éprouve ces sentiments ou pourrait se sentir concernée par les traumas, l’oppression, la pauvreté, tous ces problèmes qui nous entourent et que les Autochtones vivent de nos jours. Dans ma plongée dans le monde politique, j’ai fini par rédiger mon mémoire de maîtrise à l’Université du nord de la Colombie-Britannique sur la gouvernance tsimshian, en particulier sur mon propre rôle, à travers les miens, dans nos systèmes de gouvernance, et sur ce à quoi ressemble un système de gouvernance sous la Loi sur les Indiens comparativement à un système de gouvernance traditionnel. Il est impossible de dissocier les systèmes de gouvernance autochtones du territoire.

Ainsi, dès que vous parlez à des Aînés, que vous interrogez des Aînés, ou que vous êtes simplement sur le terrain avec eux, qui est ma façon préférée de faire des recherches ou d’apprendre, il suffit de se trouver près d’eux et là surgit la forme la plus enrichissante de connaissances et d’enseignements possible. Tout tient toujours à ce lien essentiel.

Durant mes études de maîtrise, j’en apprenais davantage sur mon propre territoire, je travaillais avec mes Aînés en voyant grandir ma ferveur pour la protection de nos territoires, on m’a élu au sein du conseil de direction de ma Nation et, à partir de là, je me suis engagé dans la politique. Nous avions plusieurs actions judiciaires en cours contre le développement et toutes ces questions.

Je me suis senti de plus en plus appelé à faire des recherches sur nos liens avec la terre. J’avais l’impression que non seulement, en tant qu’Autochtones, nous méritons le droit de renforcer ce lien là où nous l’avons perdu, mais aussi d’instruire d’une certaine manière la société dominante pour dire « Hé! Peut-être vous faudrait-il repenser votre façon de comprendre votre relation avec les écosystèmes et réévaluer celle que vous entretenez avec le monde naturel, surtout en cette ère de changements climatiques ». Tout cela a pris la forme de cette expérience édifiante de l’intérêt pour la culture, m’a mené à fréquenter l’université et à apprendre ces notions qui ont fait prendre beaucoup de sens à l’éducation que j’avais reçue, puis à m’engager politiquement auprès de ma communauté. Et puis maintenant, ma vraie passion se concentre sur les recherches entourant les connaissances écologiques, les liens avec la terre et tout ce que cela englobe.

Roberta : En quoi les récits oraux, la tradition orale et le fait de vivre dans ce territoire et de travailler avec des Aînés ont-ils fourni les renseignements qui vous ont permis de comprendre les changements climatiques qui touchent votre région?

Spencer : La réponse à cette question me semble comporter plusieurs facettes. Une d’entre elles consiste tout simplement à accepter que nous soyons dans ce lieu parsemé d’immenses zones inconnues. Il est très difficile d’envisager des solutions à cette crise parce que nous ignorons en grande partie ce que l’avenir nous réserve et ce qui va arriver. Mais à une certaine échelle, au moins celle de mon territoire, avec les membres de notre Nation, nous disposons de récits incroyables de triomphes face à des effondrements complets de la société, à des catastrophes naturelles et à des crues extrêmes. Si vous vous promenez le long de la côte, vous constaterez que chaque Nation a un récit de vie dans un endroit particulier en période de crue. Habituellement, ils se réfugient au sommet des montagnes ou forment un radeau à l’aide d’un village de canoës qu’ils attachent à une montagne et doivent flotter ainsi pendant une période indéterminée. Ce récit est présent tout le long de la côte, de même que celui d’une vaste glaciation et de la disparition de tout le gibier sauvage. Ces récits existent dans tellement d’endroits. Il y a donc cette expérience incrustée, cette quasi-familiarité avec ce que nous observons de nos jours. Nous savons, à un certain point, que les peuples autochtones ont cette résilience et que ces joyaux de notre culture nous indiquent comment traverser ces épreuves. C’est ainsi que fonctionne notre système de gouvernance, de même que notre morale, nos valeurs et nos lois, au jour le jour, et notre façon de nous structurer en tant que peuple.

Nous disposons pratiquement d’une feuille de route de la manière dont ces événements nous ont appris à nous comporter, ont fait de nous ce que nous sommes, en raison même des catastrophes naturelles. Et une des notions que j’aborde dans ma thèse concerne la manière dont nous, humains... ce n’est pas arrivé très souvent, ce n’était pas vraiment nous qui décidions de changer notre façon de vivre et d’instaurer une nouvelle loi.

Je découvre, à travers nos récits, que ce sont parfois des animaux, des esprits ou des êtres, nous ne comprenons pas, qui doivent transmettre ces messages. Je mets deux récits en évidence, dans ma thèse. L’un vient des chèvres de montagne, et tout membre des communautés tsimshianes, Nisga’a, Gitxsan vivant dans la région connaîtront la puissance des chèvres de montagne parce que tous ont en commun ce récit leur parlant des chèvres ayant mené à l’effondrement d’un de nos villages ancestraux, un immense village ancestral, parce que nous ne vivions pas convenablement, et ils l’ont vu.

Je ne vous raconterai pas tout le récit, mais disons qu’à la fin, les chèvres sont venues nous voir après avoir causé une grande destruction et ont dit « nous devons conclure une entente ». Ce n’est pas de cette façon que le récit le narre, mais c’est ainsi que je l’interprète. Elles ont dit « nous allons conclure une entente. Ce sera un peu comme un mariage dans lequel nous devrons nous rencontrer et convenir de notre marche à suivre pour l’avenir, et dans lequel nous vous ferons l’honneur de vous laisser nous chasser. Mais nous, chèvres de montagne, avons le droit d’être chassées de façon respectueuse, et voilà comment nous vous exposerons la situation. » Et elles nous ont organisé une cérémonie. Elles nous ont présenté des enseignements. Elles nous ont donné des moyens de les utiliser, et de nombreux peuples autochtones ont des récits dans lesquels des animaux, comme des ours, des wapitis ou d’autres viennent leur dire « voilà comment vous devez utiliser ma chair. Voilà comment vous devez utiliser ma fourrure. Voilà le médicament que je te procure. » Dans ce sens, ce ne sont pas les humains qui ont créé les lois, mais bien les animaux. Ces animaux, dans le cas des chèvres de montagne, créent cette splendide image de lois qui, dans un sens, gèrent leur espèce, et elles nous l’offrent.

Il en va de même pour le saumon. Son récit est présent d’un bout à l’autre de la côte. Il est plutôt bien répandu, sous le nom du Prince Saumon. Différentes Nations le présentent de diverses manières, mais il s’agit d’un garçon qui se retrouve dans le monde du saumon et vit une panoplie d’aventures; mais dans l’ensemble, le saumon lui enseigne comment les humains devraient respecter, traiter et récolter le saumon. Le point commun du récit consiste à dire « nous allons vous donner les outils qui vous permettront de nous récolter correctement et, si vous nous écoutez et acceptez de former cette forme d’alliance, vous vous en porterez bien et nous nous porterons bien ». En définitive, voir les humains devenir une part essentielle du système est en quelque sorte le lien qui se crée.

Pour ramener le tout à ce que nous observons de nos jours, cela devient vraiment une part des enseignements réels et de l’assimilation de ce que les écosystèmes peuvent nous dire, et de trouver la place qui nous appartient dans ces écosystèmes. En tant qu’Autochtones, nous avons su apprendre de ces différentes espèces, des récits qu’elles nous ont donnés et des enseignements qu’elles nous ont transmis en tant qu’êtres spirituels. Nous avons fait preuve de souplesse et avons pu en quelque sorte nous adapter à la façon dont elles veulent que nous vivions dans leurs écosystèmes, ce qui contraste en tous points, je suppose, avec la façon de faire de la société dominante, ou modernisée, si vous voulez l’appeler ainsi, où tout est question de pousser plus loin, d’extraire davantage, de continuer de vivre de la même manière, de posséder et de continuer d’accumuler de grandes quantités de biens, de raser les forêts, et j’en passe. Le point d’arrêt n’est pas encore atteint. À mon avis, ces récits éclairent vraiment avec pertinence ce à quoi la société dominante est confrontée.

Roberta : Qu’advient-il lorsque ces espèces ne sont plus là? Qu’advient-il lorsque ces animaux ne sont plus là pour nous aider par leurs enseignements? Nous savons qu’en raison des changements climatiques, les espèces changent et que nos animaux vont et viennent ou nous quittent définitivement. Et nous devons vraiment avoir peur, n’est-ce pas? Alors que faire si ces enseignants ne sont plus là pour nous aider à nous adapter de cette manière aux changements climatiques?

Spencer : Ouais! C’est une excellente question. Je n’en ai pas fait l’expérience, mais j’y ai effectivement réfléchi et m’en suis inquiété. Il y a un récit fantastique qui me revient souvent en tête. Il ne s’agit pas d’un récit oral, ou peut-être en est-ce un quelque part, mais il y a ce phénomène... J’ai grandi pendant une brève période à Prince Rupert et là, il y avait habituellement beaucoup de caribous, tellement que les gens du coin, dans leur clan et le système dont ils avaient hérité, avaient un clan du caribou. De nos jours, rares sont les caribous qui fréquentent cette région, mais l’orignal a pris leur place. Les gens ont intégré l’orignal à leur culture et à leurs connaissances écologiques traditionnelles. Cet animal occupe une place très importante dans les potlatchs, de même que dans l’abondance, la gouvernance et l’intendance. Dans une certaine mesure, nous observons l’ingéniosité dont font preuve les humains pour s’adapter et changer, alors que le caribou est toujours très significatif pour la communauté qui, pourtant, se montre capable d’adaptation et de changement.

À l’échelle microcosmique, je pense que nous devons nous pencher sur nos récits oraux et nous dire « bon, nous avons déjà surmonté ces situations extrêmes dans le passé. Et il nous a suffi de nous concentrer sur les enseignements dont nous disposions, parce que malgré la disparition des enseignements que nous a transmis un animal, nous sommes encore capables de les porter en nous et de les transmettre. Nous pouvons nous pencher sur eux en espérant l’apparition de nouveaux. » Dans mon for intérieur, je crois que l’esprit, l’esprit de la terre, ne meurt jamais. Les espèces prennent simplement une forme différente, comme leurs esprits. J’espère qu’à un niveau microcosmique, nous saurons trouver des façons de nous adapter.

Mais quelqu’un a aussi dit « laissons les changements climatiques faire leur chemin et leur œuvre, et observons le tout avec passivité », parce qu’il est clair que nous ne faisons qu’empirer les choses. Plus nous les ignorons ou les rendons potentiellement de plus en plus extrêmes, plus nous les ignorons. Il existe un équilibre entre respecter les enseignements qui nous sont transmis, respecter les pratiques spirituelles, dans lequel nous pouvons puiser à même ces enseignements, à même les comportements adoptés par notre peuple pendant des années, à même nos ancêtres et la terre sur laquelle nous vivons.

Même si une espèce est venue et repartie, il reste un esprit et des choses à apprendre. Il faut aussi avoir un raisonnement très critique, analytique et scientifique en ce qui concerne notre gestion actuelle des changements climatiques. Il existe selon moi un équilibre entre ces deux pôles, et il constitue en quelque sorte ma réponse et ma façon de progresser. Comme je peux l’observer sur le territoire où j’habite, les stocks de saumon s’amenuisent toujours plus, ce qui soulève la question de savoir de quelle façon arriver à nourrir ma famille. Dans la perspective de nourrir ma famille, mon but consiste à leur fournir seulement la source de protéines traditionnelle pendant une année entière. Et face aux événements, je me demande comment y parvenir, cette année, si je suis incapable de récolter, disons, du saumon rouge? Nous devrons être en mesure de trouver de nouveaux moyens, et qui sait ce que cela signifie? Peut-être que là où les stocks diminuent, nous pourrions les trouver en abondance à un autre endroit. Peut-être que non, mais à mon avis, plus l’apprentissage est difficile sur le territoire, plus nous serons résilients face à ces changements, parce que nous en serons conscients. Nous les verrons venir. Nous saurons comment nous adapter, au lieu de nous leurrer et de ne pas prendre conscience de ce qui se passe.

Roberta : Comment devons-nous faire pour être certains que les jeunes s’engageront à apprendre de l’environnement et à assimiler, comme vous dites, nos enseignements, pour qu’ainsi ne règnent pas l’écoanxiété, l’écodésolation, le traumatisme que nous voyons s’installer quand nous ne sommes plus en mesure de nous connecter à nos activités liées à la terre ou à nos aliments traditionnels, quels qu’ils soient? Comment entraîner plus de jeunes à participer pour qu’ils aient cet espoir, le seul mot qui me vienne à l’esprit en ce moment?

Spencer : Là encore, la réponse comporte différentes facettes. Je pense que dans une certaine mesure, nous devons enseigner la résilience à nos enfants, leur exposer des récits de résilience et leur permettre d’être à l’aise dans l’inconfort, parfois. Notre peuple est doué dans ce domaine. Nos cérémonies et nos pratiques traditionnelles n’étaient pas toujours de tout confort. Je songe à certains récits de mes Aînés, qui ont commencé à jeûner à l’âge de 12 ans. Par commencer, je veux dire qu’ils s’adonnaient à de surprenantes épreuves de force et de courage, et simplement à des moyens de forger leur caractère et d’avoir confiance, du genre « je peux nourrir l’espoir, je peux être résilient ». Il s’agit là, pour moi, d’une forme de niveau d’enseignement moral.

Nous devons le transmettre à nos enfants. Ces enseignements viennent rarement des écoles. Ils découlent rarement d’un financement extérieur. Ils viennent d’une relation établie avec les membres de votre communauté, les enfants de votre communauté, et du simple fait de leur enseigner à vivre sur le territoire. Parfois, il suffit de vivre sur le territoire pour intégrer naturellement ces enseignements. Cette vie vous apporte naturellement les hauts et les bas, les gains et les pertes, tout ce qu’il faut apprendre, au lieu de la gratification instantanée qu’enseignent de nos jours des jeux électroniques comme Fortnite. Cela constituait une des facettes de la réponse. L’autre facette est celle de cet univers contenu dans notre langue, que nous adorons. Le gugwilx’ya’ansk. On pourrait le traduire par la transmission ou la diffusion permanente. Le plus souvent, il sert de contexte politique dans lequel vous observez la transmission d’un titre héréditaire ou la passation héréditaire que fait une personne à la génération suivante. Mais nous devons penser aux connaissances de cette manière, c’est-à-dire que ce savoir que nous acquérons et retenons doit occuper le haut de la liste de nos envies afin d’assurer leur transmission. Je veux dire qu’il n’y a rien de plus fascinant pour les jeunes que de sortir se promener sur le territoire. Ces gestes sont gravés dans leur mémoire ancestrale, dans leur sang. Je perçois en chaque enfant une sorte d’étincelle. Peut-être est-elle plus facile à allumer chez certains enfants que chez d’autres, mais j’ai l’impression que chacun d’eux porte en lui cette braise qui attend seulement de se transformer en feu avivé par une vie sur le territoire, et que les enfants les plus heureux et les plus sains sont ceux qui vivent ainsi. Une partie de tout ce propos est un cliché, en cela qu’il nous suffit d’agir plus d’en parler moins. Mais je sais que chaque village, chaque communauté doit mener ses propres luttes pour y arriver. En fait, certaines communautés n’ont pas beaucoup de territoire pour faire ces expériences. Nous avons tous des problèmes différents et luttons selon nos capacités, mais tout cela fait partie de mes réflexions. Alors, dans mes recherches, j’essaie d’intégrer le processus de gugwilx’ya’ansk le plus possible et me vois ainsi diffuser à la prochaine génération les renseignements transmis par les Aînés pour que leur transmission perdure. Si je n’ai pas inscrit sur ma liste de mes envies ou ma liste de contrôle le fait d’être un chercheur accompli, je ne vois pas en quoi consiste la réussite.

Roberta : Je suis vraiment à même d’apprécier la transmission de connaissances qui doit avoir lieu. Avez-vous un dernier commentaire à formuler à propos des travaux que vous menez? Je présume que ce à quoi nous pouvons nous attendre de vos travaux aura des répercussions à une échelle communautaire, à une échelle nationale, mais aussi à une échelle internationale, n’est-ce pas?

Spencer: Pour revenir à ce que je disais plus tôt, un de mes objectifs consiste à observer les méthodes traditionnelles de récolte et à indiquer en quoi ces pratiques nous permettent vraiment d'être en meilleure santé tout en rendant nos écosystèmes plus sains. Une des méthodes que j’ai vraiment hâte d’explorer et à laquelle consacrer une partie de mes recherches est celle de la reconstruction de pièges à poissons et de bordigues. À mon avis, ces méthodes offrent d’excellentes occasions de faire participer les jeunes, les Aînés et des communautés en entier à un processus, et cela concerne seulement une espèce. Certains de mes collègues ont fait des expériences semblables avec des bancs de palourdes, un concept très semblable; si vous mettez en place une structure sur la plage, les palourdes se développent et forment des colonies quatre fois importantes en quatre fois moins de temps. Ce projet auquel participe toute la communauté fait appel aux connaissances des Aînés et permet aux jeunes d’apprendre le concept et de l’appliquer.

Je pense que nous pouvons appliquer ce principe à toutes les espèces de notre société. J’ai espoir que plus tard, je mènerai des recherches gravitant autour de ce sujet, ce qui me permettra en plus de rester à proximité de nos écosystèmes. Donc, pour répondre à la grande question sur notre façon d’aborder ce sujet dans les étapes suivantes, il s’agit essentiellement de voir comment établir des liens à l’échelle internationale. C’est la clé de la communication des résultats concluants, ce qui se révèle difficile en période de COVID. Nous sommes en pandémie et, nous autres, chercheurs, avons l’habitude de nous réunir pour échanger des idées et faire part de nos recherches. Difficile à faire quand les voyages sont proscrits. C’est malheureux, mais je pense que le fait d’exposer ces récits, comme le récit lui-même, est vital dans l’existence humaine et nous, chercheurs, sommes essentiellement des conteurs.

Lorsque nous pouvons faire part de résultats concluants, nous pouvons raviver cet espoir et cette foi, chez les autres, que la réussite est possible. Une partie du projet de reconstruction de pièges à poissons et de bordigues pour le saumon vient du côtoiement de Nations qui ont commencé à faire de même. Ce projet me trotte dans la tête depuis des années, et j’ai vu que les Heiltsuk le faisaient et sont sur le point de reconstruire des bordigues, ce qui a contribué de façon sensationnelle aux recherches. Cela m’a permis de me dire « Oh! Je peux faire ça! ». Et avec le temps, peut-être pourrons-nous nourrir toute notre communauté de poissons par notre pêche de subsistance, grâce à ces pièges. Nous n’aurons plus à recourir à des processus industriels. Et si cela se révèle plus sain pour tous, peut-être cela aura-t-il des échos en Norvège, peuplée de communautés de pêche. Et peut-être ces échos atteindront-ils la Nouvelle-Zélande et tous les peuples de la planète qui dépendent du poisson. On pourrait en dire autant d’espèces intérieures et de celles d’autres endroits. Et ainsi, dans une certaine mesure, il s’agit simplement d’un outil formidable que nous possédons depuis toujours, de la transmission de ces récits, des enseignements tirés de la terre et des résultats concluants que nous obtenons grâce à ces enseignements.

Roberta : Je tiens à vous remercier de ces enseignements que vous tirez de la terre et des recherches que vous menez. Je vous admire et vous souhaite tout le succès possible dans toutes vos entreprises. Merci beaucoup d’avoir pris le temps de nous parler aujourd’hui de ces récits, de votre culture, de l’endroit d’où vous venez et des raisons de son importance à vos yeux.

J’ai vraiment apprécié le temps passé avec vous. Encore une fois, merci infiniment, Spencer.

Spencer : Merci de m’avoir reçu, Roberta.

Roberta : Pour écouter d’autres balados de cette série, consultez « Les voix du terrain » qui se trouvent sur le site Web du Centre de collaboration nationale de la santé autochtone, à ccnsa.ca. La musique de ce balado est l’œuvre de Blue Dot Sessions. Il s’agit d’une œuvre en usage partagé, utilisée sous licence Creative Commons. Pour en apprendre davantage, consultez le www.sessions.blue (lien en anglais)

 

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